Combe de l’Arbet Neuf
Ou la face cachée de la Grande Montagne d’Arvillard
Deux semaines déjà que je n’avais pas posé les raquettes en montagne, depuis le combo gagnant Val Pelouse du jeudi et Grand Rocher du vendredi. Saleté de corps fragile et passablement usé. Aller, ce matin, c’est grand soleil alors tu me montes ce foutu cerveau dans les montagnes pour qu’il prenne ce qu’il pourra. Me voici donc parti pour une randonnée à durée indéterminée, au tracé non ajusté, mais aux saveurs espérées. Je pose la voiture un peu au-dessus du mythique panneau « Alt : 1240 m Val Pelouse 5 kms 500 », connu de ceux qui affrontent en vélo les 16 kms de bitume vieillissant de la route conduisant à l’ancienne station de ski.
8 h, grand départ : crème solaire, victuailles, breuvages, appareil photo … Mince, les lunettes de soleil ; tant pis, aujourd’hui ce sera un regard bio sur le monde. Les premiers pas sont enjoués malgré les raquettes restées sur le dos du sac, faute de neige à cette altitude. Il faudra attendre un bon kilomètre et demi avant de pouvoir les chausser. Avec toute cette absence de sport depuis plus de deux mois, je constate rapidement que ma capacité pulmonaire se rapproche de celle d’un escargot asthmatique nonagénaire fumeur de gitanes brunes sans filtre ; mais pas celui qui traine sa coquille vainement sur une vitre par temps de pluie. Non non ; celui qui est au fond d’une boite en carton dans le second tiroir d’un congélateur – dont l’existence est purement arbitraire – avec 11 de ses petits camarades, attendant sagement qu’un événement quelconque et sans saveur de la vie des hommes les délivrent de leur lente et froide agonie. Pour faire bref, il faut y aller doucement.
L’itinéraire est toujours le même : ce chemin forestier jusqu’en-dessous des Chalets de la Grande Montagne, la remontée des anciennes pistes, l’arrivée au parking de Val Pelouse avant le mur final qui mène le voyageur égaré à la Grande Montagne d’Arvillard.
Arrivé sur les crêtes, le spectacle est toujours aussi beau. Depuis le début, je n’ai croisée noi personne ni trace, ou sinon de vieilles traces de skieurs presque entièrement effacées par le temps. Çà et là, quelques empreintes d’animaux parsèment de vie ces étendues blanches polies par le vent. A la jonction avec la Crête du Gargoton, je décide de descendre dans la Combe de l’Arbet Neuf transformée en champ de coton immaculé, sans bruit, sans brise. Véritable paradis du rêveur du monde d’en haut, ou du fuyard du monde d’en bas. D’ailleurs, je traine toujours avec moi ces quelques mornes pensées ; c’est décidemment plus dur aujourd’hui qu’il y a dix ans de se couper de la mélasse quotidienne … Pschhhhh pensées ! Retournez en bas, et laissez-moi en paix ; retrouvez les fous, fourbes et irrationnels qui vous ont fait naître au fil des années !
La montagne a cela de génial qu’elle est stable, sécurisante, quasi-éternelle – du moins à l’échelle de la vie humaine – tout en se renouvelant sans cesse. Ma foi, presque l’exact opposé du monde d’en bas, où tout semble irrémédiablement grouiller sans aucune logique. Tiens, me voilà déjà remonté au Col de la Perrière, dont le panneau est entièrement recouvert par la neige. Encore quelques minutes et j’atteindrai le refuge, moment important de la randonnée. Arrivé, je sors de mon sac une toile, quelques tubes de peinture à l’huile, deux trois pinceaux, un sac poubelle sur lequel poser mes fesses. Et c’est parti ; première tentative de toile en altitude. Et comme prévu, il me manque tellement de couleurs pour rendre justice à ce paysage sublime offert à qui sait regarder. Enfin, il faudra faire au mieux avec qu’il y a !
Une demi-heure plus tard, je repars les pinceaux sales, la toile sèche et soigneusement rangée dans le sac à dos. Je n’ai pas envie de redescendre tout de suite, il fait tellement bon-vivre dans les parages. Alors je sillonne sans mesure l’alpage au-dessus du refuge, pour finalement regagner les crêtes et retrouver, entre autres, le Mont Blanc. Je m’assoie et contemple cette combe de l’Arbet Neuf baignée du même soleil que celui qui me chauffe le dos et le cœur.
Aller, ce coup-ci, il faut y aller car un cours de maths m’attend dans peu de temps mais surtout un peu plus bas. Les descentes sont toujours teintées de tristesse et de mélancolie. Pourtant je sais que je reviendrai ici, ou peut-être là-bas ; seul ou avec d’autres, avec ceux qui rêvent du monde d’en haut ou fuient le monde d’en bas et savent regarder ces lieux avec curiosité et douceur.
Pierre













Geneviève Dupuis | Merci pour ce beau récit qui incite à aller y voir ! |
Commenté par Geneviève Dupuis le 7 avr., posté par Pierre Mérian le 6 avr., (populaire)